Musée virtuel du Canada (MVC)

L’archéologie communautaire, c’est travailler ensemble

Notre chef Clarence Pennier avait invité des archéologues à venir travailler à notre site ancestral de Qithyil au début des années 1990. Une compagnie forestière voulait exploiter le site, mais le chef Pennier savait que cet endroit était spécial. Il savait aussi que nous pourrions acquérir plus de connaissances sur l’histoire des possessions (que les archéologues nomment des artéfacts) qui se trouvent dans la terre. Le chef Pennier a demandé à Michael Blake et à son équipe de l’Université de la Colombie-Britannique (UBC) à Vancouver de commencer avec les grands tertres ancestraux. Notre communauté n’avait jamais travaillé avec des archéologues. Nous voulions nous assurer que les archéologues se sentent bien accueillis, mais nous voulions aussi nous assurer qu’ils ne partent pas avec ce qui nous appartenait. Nous devions trouver une bonne manière de travailler ensemble.

Le développement de l’archéologie communautaire à Qithyil

Un cube blanc sur un onglet noir.
Voir transcription

[John « Sonny » Williams Jr.]: Pour comprendre qui nous sommes, nous devons d’abord apprendre qui nous étions. Pour aider ces jeunes à sortir de leur… pour changer leurs vieux modes de réflexion une fois pour toute, dans le sens que pourquoi, lorsqu’il s’agit des autochtones, tout ce qui est autochtone, que ce soit ici ou à l’autre bout du monde, pourquoi est-ce de l’archéologie, pas de l’histoire? Simplement parce que nous n’avons jamais rien écrit. Notre peuple n’avait aucune forme d’écriture. Pourquoi ce n’est pas de l’histoire? C’est notre histoire. Mais ce n’en est pas. C’est classé comme de l’archéologie. Je pense que nos jeunes doivent apprendre et la population doit voir ça… voici qui nous sommes et comment nous avons fait les choses et nous sommes encore ici. Nous n’avons pas été assimilés dans une culture occidentale. Oui, je porte des t-shirts. Je ne porte plus de vêtements en écorce de cèdre et des choses comme ça. Mais cela ne change pas qui je suis à l’intérieur.

[Vi Pennier]: Au début, c’était épeurant. Je ne comprenais pas ce qu’était l’archéologie. J’avais comme une petite idée, mais l’inconnu peut vous rendre un peu nerveux.

[Dave Schaepe]: Le modèle collaboratif d’archéologie que je connais, dans le territoire Stó:lō, a réellement débuté ici avec le travail à Sq'éwlets. Cela a établi la norme pour la façon dont l’archéologie est pratiquée depuis, et ce, de plusieurs façons. Le modèle collaboratif et les protocoles mis en place pour accompagner la pratique de l’archéologie.

[Michael Blake]: En 1992, c’était mon tour de diriger les stages sur le terrain pour le Département d’anthropologie à UBC, la Archaeology Field School. Le site de Sq'éwlets était le plus prometteur et avait vraiment besoin d’être travaillé pour plusieurs raisons. Notre relation a donc réellement commencé lorsque nous avons dit aux membres de la communauté ce que nous avions trouvé, et ces membres de la communauté étaient, bien sûr, le chef et le conseil. Gordon et Sonny ont fait un rapport au chef Clarence Pennier qui était en charge de… qui était leur patron à l’époque, et leur ont dit, Ils lui ont dit que nous avions trouvé ce site et que nous serions intéressés à aller plus loin et à y amener des stagiaires. Cette saison-là, notre premier stage étudiant sur le terrain, pour continuer notre travail en terminant l’excavation des deux tertres… c’est-à-dire faire des tests sur les deux tertres, et cartographier le site.

Pour faire cela, nous avons décidé de retourner à la communauté, de retourner voir le chef et le conseil des Sq'éwlets et de leur apprendre que ces grands tertres étaient des sépultures; nous étions presque certains que c’était un cimetière. Bien sûr, ils savaient déjà que c’était un cimetière, parce que leurs aînés et leurs ancêtres avaient transmis l’information que ce site-là devait toujours être évité. Ils savaient donc que c’était un cimetière, mais ils n’étaient pas si certains au sujet des tertres…du moins à ce stade de notre recherche.

[Betty Charlie]: Nous hésitions à le faire parce que nous savions que c’était un lieu de sépultures. Puis nous avons vu que tous les étudiants voulaient y aller. Nous ne voulions pas qu’il leur arrive quelque chose. Je pense que la chose la plus importante était qu’ils devaient démontrer du respect.

[Michael Blake]: Durant nos nombreuses semaines de travail, ils nous ont finalement un peu adoptés, et ils ont compris que nous étions là pour apprendre l’histoire de ce lieu, et ils nous ont guidés sur comment, comment penser à ce site. Par notre relation avec Clifford, nous avons pu rencontrer le père de Clifford, Leonard Hall, et Leonard nous a dit que ce site avait toujours été reconnu comme un cimetière. Quand ils étaient enfants, lui et ses amis, avaient été avertis de ne jamais aller sur ce site. Spécialement, de ne jamais y aller après la noirceur.

[Dave Schaepe]: Le tertre un, les fouilles du tertre un en particulier, je pense, ont été très importantes pour ce projet, très importantes pour nos liens. Et le fait que la communauté ait demandé que le travail y soit fait, pour montrer au monde, à la province, au gouvernement et à tout le monde que ce sont bien des tertres funéraires; des endroits où nos ancêtres ont été mis dans le passé, pas seulement des tas de terre accumulés par la nature. Donc, les moyens et les méthodes utilisés pour les fouilles s'intégraient dans une perspective communautaire, dans une approche communautaire et dans l’application de protocoles. Chaque partie de ce processus, chacune des parties, de concert avec la méthodologie archéologique, a été réalisée main dans la main avec la communauté. Sans cela, ça ne se serait jamais fait.

[Betty Charlie]: Lorsqu’ils ont commencé à pénétrer le tertre un, nous savions ce qu’il y avait là, à peu près. Alors, lorsqu’ils ont commencé à ouvrir et à pénétrer dans le tertre un et à chercher dans tous ces alignements de pierres et qu’ils approchaient du centre, tous les jours, nous étions plus nerveux.

[Vi Pennier]: Et, après y avoir été durant, oh, deux semaines, peut-être 3 semaines, vous devenez curieux; comme je veux en savoir plus, je veux en savoir plus. Plus je voulais en apprendre, plus j’en parlais avec les jeunes, les enfants qui venaient faire un tour et qui étaient simplement… intéressés. Et aimaient être parmi les étudiants, parce qu’ils étaient si ouverts. Je devenais déjà une aînée; mais je n’en avais pas conscience. Je tenais même un livre et les étudiants écrivaient dans le livre. On leur a donné des surnoms; ils sont devenus des membres de la famille.

[Michael Blake]: Nous avons décidé de tester deux des plus gros tertres et quelques autres emplacements sur le site, pour voir quels types de dépôts, quels types de couches stratigraphiques nous pouvions voir dans les fouilles. C’est comme ça qu’on a fait; on a décidé de continuer et de tester. Tout de suite, nous avons découvert que les zones de la terrasse où nous avions fait les tests montraient des dépôts culturels très profonds, avec des couches et des couches de surfaces d’occupation et d’artéfacts et des débris d’aliments et toutes sortes de choses qu’on s’attend à trouver dans tous les sites archéologiques le long du fleuve Fraser.

[Vi Pennier]: Parce qu’on ne savait pas beaucoup de choses sur notre passé. À cause des pensionnats, ce que nous savons s’est arrêté lorsque nous étions jeunes. Alors c’était comme si on nous alimentait avec un peu plus de notre passé. Et on nous en donnait plus pour l’avenir.

[Clarence Pennier]: Vous savez, c’est important de travailler ensemble pour une cause commune. Une des choses que j’ai apprises dans ma vie est que notre titre d’autochtone, nos droits autochtones sont des droits collectifs, qui sont pratiqués par des individus, mais les individus ne sont pas ceux qui prennent réellement les décisions à propos de leurs droits. Ce doit être collectif. Et comment nous prenons soin de la terre, et comment nous prenons soin des ressources, ce sont des décisions collectives. Pour nous assurer que nous prenons soin des choses pas seulement pour nous-mêmes, mais que nous prenons soin des choses pour les générations à venir. Et c’est une des choses que nous avons, que j’ai apprise… nous devons penser sept générations en arrière et regarder sept générations en avant. pour nous assurer que nos petits petits petits petits petits-enfants auront les mêmes avantages que nous avons aujourd’hui. Vous savez, en termes de collaboration, il faut essayer de nous assurer que cela arrivera.

Télécharger
SD (52 MB) | HD (165 MB)

Fouiller des tertres funéraires est un travail délicat. Nos chefs spirituels nous ont enseigné à utiliser le témélh, de l’ocre rouge mélangé avec de la crème ou de la graisse. Le témélh est utilisé pour aider l’esprit de nos ancêtres à voir les vivants et éviter les contacts directs, ce qui peut parfois être nocif. Pour nous protéger, nous appliquions le témélh sur nos tempes, nos poignets et notre poitrine. Nous devions aussi nous assurer d’être « dans un bon état d’esprit » pendant notre travail et de terminer avant le coucher du soleil, car il ne faut pas se trouver sur un site spirituel après la tombée de la nuit.

Au début et à la fin de chaque saison de travail sur le terrain, Vincent Stogan et Kenny Moses, des aînés et travailleurs spirituels stó:lō, ont animé des « cérémonies du feu » afin d’honorer et de « nourrir » les ancêtres ayant jadis vécu à Qithyil en leur offrant un festin. Ces deux aînés nous ont dit que les ancêtres étaient heureux du travail accompli et des « cérémonies du feu » tenues au site.

Nous avons travaillé ensemble pour mieux comprendre les vestiges que nous avons déterrés à Qithyil. Les archéologues nous ont appris beaucoup de choses à propos de nos anciennes possessions. Nous avons partagé ce que nous savions de l’histoire des Sq'éwlets, nos sqwélqwel, transmises par nos grand-mères et nos grands-pères. Le temps a filé et nous travaillons ensemble depuis plusieurs décennies dans un esprit d’ouverture, donnant et recevant des enseignements. Nous sommes devenus de grands amis.

Prendre soin des ancêtres

Pour les Stó:lō, il est très important de prendre soin de toute notre parenté, vivante et décédée. Nous prenons soin d’eux dans l’honneur, le respect, le partage et le don. Nous honorons nos morts et nos ancêtres de la même façon. Nous les respectons en les préparant avec soin et en honorant l’endroit de leur sépulture. Nous célébrons leur mémoire et nous leur parlons lors de cérémonies.

Le site ancestral de Qithyil, ainsi que le paysage qui l’entoure, est un endroit spirituel. Plusieurs ancêtres y reposent. Il y a environ 1500 ans, les Sq'éwlets ont commencé à utiliser des parties de leur village comme cimetière et Ils sont allés vivre ailleurs. Afin d’honorer la parenté qui était partie dans le monde des esprits, ils ont bâti d’énormes tertres de terre, comme des pyramides, et de grands tas de blocs rocheux, appelés des cairns, au-dessus des sépultures. La construction de tertre et de cairns ancestraux s’est arrêtée à Qithyil il y a environ 1000 ans, vers l’an 1000 du calendrier que nous utilisons aujourd’hui. Nos ancêtres ont continué à bâtir de plus petits tertres et cairns dans la région.

Prendre soin des ancêtres : les protocoles du travail de terrain

Un cube blanc sur un onglet noir.
Voir transcription

[Betty Charlie]: Ils devaient avoir de bons sentiments lorsqu’ils se rendaient là-bas. Au retour, ils devaient être comme ils s’y étaient rendus. Ne pas revenir des montagnes avec de mauvaises pensées. C’est une question de respect.

[Dave Schaepe]: En 1992, et en particulier à la suite du travail fait sur les sites des tertres funéraires et sur les caractéristiques des tertres funéraires, c’est là que le protocole est apparu, selon ce que je comprends, et l’utilisation du témélh, l’ocre rouge, comme un des importants protocoles culturels qui sont encore utilisés aujourd’hui, en particulier dans un travail de terrain qui implique des fouilles dans les sites. Comme archéologues, nous dérangeons. Nous créons des perturbations dans les sites. Nous les dérangeons. Nous retirons des choses. Nous prenons des choses qui ne nous appartiennent pas, selon la perspective des Stó:lō. Cela fait partie de ce que nous faisons. Ce que nous faisons peut être justifié dans des cas particuliers lorsqu’on veut trouver des réponses à des questions que seuls les archéologues peuvent aborder; parfois, seuls les archéologues, peuvent réellement aborder ces questions spécifiques, étant donné notre travail dans la terre avec les objets. Afin de neutraliser les perturbations, afin de ne pas interférer ou pour éviter des interactions nuisibles avec l’ensemble de la communauté, et c’est là le royaume spirituel de la communauté ancestrale qui, du point de vue des Stó:lō, est encore là, est encore dans ces endroits, habite toujours les sites du vieux village, sont encore liés à leurs choses, les choses qui leur appartiennent, leurs objets, leurs créations.

[Albert « Sonny » McHalsie]: Lorsque tu pars, dis ton nom. Ainsi lorsqu’on quitte nos cimetières, on dit toujours notre nom. Lorsqu’on va au cimetière et qu’on pleure nos êtres chers, on pourrait laisser un peu de notre esprit là-bas. C’est pour ça qu’on te fait un balayage, nous balayons tout ce qui est mauvais, ce qui aurait pu s’attacher à toi, alors nous l’enlevons par un balayage. Mais aussi lorsque tu t’appelles, c’est pour t’assurer que tu ne laisses rien là-bas. Lorsque tu pars, dis simplement Allez Doug, on s’en va! Dis-le dans ta tête, Allez Doug, on s’en va!.

[Michael Blake]: Un des protocoles très importants dès le début était que, parce qu’on était sur le site d’un cimetière, il y avait un danger spirituel potentiel pour tous ceux qui travaillaient sur le site. Pour protéger tous les participants du projet, on nous a montré comment utiliser du témélh, de l’ocre rouge, ou de l’hématite, qui est transformée en peinture rouge, qu’on pouvait utiliser pour marquer nos fronts, notre poitrine et nos poignets afin de devenir visibles à tous les esprits sur le site.

[Betty Charlie]: C’était pour notre protection, mostly for the people that are buried on this site. Mais surtout pour ceux qui sont enterrés dans le site, afin qu’ils voient le témélh et qu’ils sachent qu’on arrivait. Ainsi, ils pouvaient nous identifier, et c’était aussi dans le cas où pendant qu’on était au site, si on ramassait quelque chose, comme un vieil artéfact, que rien de l’artéfact ne nous saute dessus. Et alors on devrait le remettre. C’était pour nous protéger.

[Vi Pennier]: Ce que je sais du témélh est que c’est un moyen de guérison puissant. C’est un protecteur. C’est un guérisseur.

[Lucille Hall]: On m’a simplement dit que c’était pour me protéger des esprits et on m’a dit que les esprits de l’autre côté nous reconnaissent si on porte du témélh. Si on n’en porte pas, ils ne peuvent pas nous voir, ils ne savent pas qui on est. Mais lorsqu’il est en place, qui on est n’a pas d’importance; ils savent qui on est. Ils nous reconnaissent. C’est donc très important de le porter. Qui on est n’a pas d’importance. Ils nous reconnaissent. Et c’est très bien. C’est quelque chose qu’on devrait savoir sur les esprits. je suis très fière de le porter lorsque je peux. Je veux être reconnue. Je veux être vue, même si ce n’est que pour un court instant. Oui.

[Dave Schaepe]: En grande partie, avec la communauté ancestrale, la pratique des feux, des feux spirituels, des offrandes, de la nourriture aux ancêtres; ce sont des pratiques qui remontent probablement à des milliers d’années dans ce que nous constatons, dans notre travail archéologique, en particulier en lien avec les tertres funéraires, une façon dans laquelle nous voyons des pratiques comme celle-ci qui existaient dans le passé et sont encore aujourd’hui utilisées dans la communauté, et maintenant nous les incorporons dans notre travail archéologique. Ce projet vise à augmenter la visibilité des liens entre, ce qui serait autrement une relation entre nous et eux, afin de pouvoir travailler sans qu’aucun tort ne soit fait à une des parties, à aucune des parties.

Les archéologues appliquent donc le témélh avant d’aller sur le site, ayant reçu des aînés et des travailleurs culturels, des instructions sur la façon d’approcher notre travail dans un bon état d’esprit. Être dans un bon état d’esprit, de cœur, laisser la négativité derrière. Faire notre travail sur le site de la meilleure façon possible et éviter les conflits sur le site.

[Dave Schaepe]: Une des conférences a été donnée par un aîné, Frank Malloway. Avec d’autres aînés et d’autres membres de la communauté à Sq'éwlets, il pensait que cela valait vraiment la peine de fouiller les tertres afin de pouvoir démontrer qu’ils faisaient partie du cimetière des Sq'éwlets, que ce sont des tertres funéraires, pas seulement des constructions de terre. C’est ce que nous avons fait. Nous avons excavé le centre des tertres, selon les instructions des aînés, et selon le protocole qu’ils avaient conçu pour la façon dont on s’y prendrait, et comment l’ensemble du processus devrait se dérouler. C’était une expérience vraiment très utile, car nous n’aurions pas pu, nous n’aurions pas su comment procéder sans les protocoles de la communauté, sans ce genre de soutien et sans les conseils et la supervision des aînés de la communauté. C’était absolument essentiel pour chacun des éléments de chaque décision à prendre sur la façon de procéder.

Télécharger
SD (40 MB) | HD (129 MB)

Aucun archéologue de la région n’avait vu autant de tertres ancestraux dans une région boisée. Après avoir parlé au chef et aux membres du conseil des Sq'éwlets, les archéologues ont fouillé des parties de plusieurs tertres. Cela inclut le plus grand, le tertre ancestral 1, à l’extrémité sud de Qithyil. À côté de chaque tertre, il y a des rangées de blocs rocheux et de pavés, de la nourriture brûlée pour « nourrir le mort » et les ossements de l’ancêtre. Plusieurs ancêtres ont été enterrés avec des perles et des outils en pierre. Après avoir recensé ce qui se trouvait à l’intérieur de quelques tertres, les archéologues et les conseillers culturels sq'éwlets ont tout remis dans l’état où ils l’avaient trouvé avant les fouilles et ils ont arrêté de creuser. Nos ancêtres sont enterrés à Qithyil, paisibles et respectés.